Le BRF

Bois Raméal Fragmenté, une magie qui vient du Canada

La technique du BRF (bois raméal fragmenté) est un copié-collé du système forestier.

 

C’est l’arbre qui fait le sol : il est le relais, le lien entre :

•  l’énergie qui vient du soleil (par la photosynthèse)

•  et l’énergie qui vient de la roche-mère (par l’extraction des éléments minéraux par les racines).

 

Dans la forêt, pas de fertilisation, pas de maladies, ou très peu. Les rameaux, les feuilles et les fruits qui tombent au sol influent sur sa structure chimique, et les racines sur sa structure physique (décompactage, aération, symbiose avec les mycéliums..). De plus, le chevelu des racines, qui se renouvelle 2 fois par an en moyenne en suivant l’élongation de la radicule, laisse dans le sol la même matière constituante que les rameaux, la lignine .

 

La succession climacique amène la plupart des sols à (ré)évoluer naturellement vers la forêt : une terre qui s’enfriche se voit d’abord occupée par des petits ligneux, ronces, genêts… Puis viennent les prunelliers, les genévriers, qui sont de véritables pouponnières pour les jeunes chênes. Et enfin les grands feuillus…

L’état de forêt est l’état ancien de la plupart des terres agricoles qui ont été défrichées, et qui en gardent la « mémoire ». Le BRF reprend cette mémoire, réveille les microorganismes du sol en latence, restructure en profondeur. 60 à 90 jours peuvent suffire à cette transformation. C’est un véritable auto-labour qui s’opèrera, et rendra les premières strates grumeleuses, aérées, 

 

fertiles. La biomasse, c’est-à-dire la quantité d’organismes vivants, faune et flore, incorpore les matières minérales (de la roche-mère, des apports superficiels…) et les rend solubles, assimilables par les plantes. Elle les stocke, les échange, les transforme.

Elle stocke également l’eau , en grande quantité, et à différentes profondeurs du sol. Ainsi la plante peut être autonome, et chercher elle-même, en développant son système racinaire, l’eau nécessaire à sa survie. L’arrosage est au moins diminué de moitié, parfois même supprimé carrément. De la sorte, les légumes récoltés montrent jusqu’à 30% de matière sèche de plus que la moyenne. Ce sont des denrées goûteuses, nutritives, équilibrées…

 

 

 HISTORIQUE 
 
Une sorte de « BRF » est pratiquée de façon pragmatique depuis longtemps sur d’autres continents : en Afrique, en Inde, de nombreux paysans ont la coutume d’utiliser des petites branches, débitées à la machette, pour fertiliser leur sol.

Mais c’est au Québec que le professeur Lemieux imagine la technique qu’il nommera BRF. Une anecdote au départ : une tempête de verglas a laissé un très grand nombre d’arbres cassés ou dangereux, et la société qui gère les lignes électriques doit gérer et évacuer une quantité énorme de branchages qui ont été broyés sur place. On imagine alors de proposer à des fermes d’expérimenter cette matière dont on ne sait que faire. Dans certaines de ces exploitations, on dispose de lisier ou de fumier en abondance, et les agriculteurs acceptent de le mélanger avec le broyat et de l’épandre. Mais d’autres n’ont rien à y incorporer et mettent tout simplement ce matériau au sol sans rien de plus.

Et la magie opère. L’année suivante est une année de sécheresse, et les cultures qui ont bénéficié de cet apport s’en sortent le mieux. Quelques mois ont suffi pour transformer les sols de manière radicale.

 

 

 

BOIS…

Une règle d’or : utiliser des feuillus , jamais des résineux (au pire, à hauteur de 20% maximum dans un mélange). Les essences spontanées (chênes, hêtres, frênes, érables, cornouillers…) donnent les meilleurs résultats, mais les arbres et arbustes acclimatés (acacias, ailantes, peupliers, platanes…) sont intéressants également. Les mélanges sont les plus à même de se montrer complémentaires.

Les conifères (pins, épicéas, cyprès, thuyas, genévriers, cades…) n’ont pas le même métabolisme et ne conviennent pas. Il suffit de regarder le sol au pied de ces arbres pour se rendre compte qu’ils ne « partagent » pas, qu’ils ne favorisent pas la biodiversité.

 

…RAMEAL…

Il s’agit donc de rameaux  : c’est-à-dire les parties des branches sur lesquelles poussent les feuilles . Ces rameaux sont très riches en lignine jeune, peu polymérisée, et en polyphénols essentiels (comme les fameux omégas 3). A la différence des branches plus vieilles, qui ont constitué leur lignine « définitive » bien plus difficile à briser. On le voit simplement de par leur nature : une branche va casser, alors que le rameau se ploie, preuve que sa lignine n’est pas « fermée », qu’elle est encore en cours de constitution.

Les rameaux, constitués de matière plus fraîche, présentent un rapport C/N (proportion de carbone par rapport à l’azote) de 50 à 60, à la différence des branches qui chiffrent jusqu’à 500.

Les rameaux portent les feuilles qui sont le siège de la photosynthèse , la porte d’entrée de l’énergie solaire. Il faut attendre la fin de l’aoûtage, quand ces feuilles ont rendu au moins 60% de leur réserve énergétique à leur support : c’est le changement de couleur qui indique cette étape, les feuilles jaunissent, bien sûr, et les rameaux brunissent.

 
…FRAGMENTE

 

Ces rameaux seront fragmentés , pour offrir de multiples portes d’entrée aux champignons : les basidiomycètes , qui sont lignivores et qui vont enclencher, en s’installant, la constitution d’une chaîne alimentaire saine et vigoureuse : champignons, prédateurs de champignons, prédateurs de prédateurs… S’il y a des feuilles dans le broyat, elles feront l’affaire des bactéries.

Le règne fongique , si particulier, se partage entre caractères du règne végétal et du règne animal. Comme les organismes du monde animal, les champignons ont une action enzymatique sur la matière, qui va leur permettre de casser la molécule encore peu polymérisée de la lignine. Ils vont donc proliférer sur cette proie de choix que constitue le broyat répandu. Ils vont émettre des éléments biotiques et abiotiques qui se mêlent à l’humus, et constituent de véritables signaux anti-stress pour les végétaux. Ainsi les plantes seront moins sensibles aux attaques, car elles émettront moins de signaux de détresse.

 

Mode d’emploi :

Coupe des rameaux  : on taille entre septembre et février. Ce sont les rameaux de diamètre de 7 cm maximum qui sont préconisés (en référence au stade de « non productivité » de ce déchet pour les forestiers), et mieux de 4 à 5 cm . Il est difficile de séparer réellement rameaux et branches, une certaine proportion de ces dernières est acceptable.

Stockage : en taillant les branches en période d’aoûtage, c’est-à-dire de sève descendante, on dispose d’un matériau en arrêt végétatif. On peut donc le stocker de 2 à 4 mois, entier, à l’extérieur, à la mi-ombre, et il restera vivant.

Broyage : il se fait au dernier moment, juste avant l’épandage. La perte de volume en broyant son tas de branches est de 1/10 à 1/15 ! C’est dire s’il faut bien anticiper ses réserves. On peut broyer à la main, sécateur, machette, ou au broyeur, électrique ou thermique. Il faut obtenir des fragments de 3 à 5 mm d’épaisseur (plus on offre de portes d’entrée aux mycéliums, plus la pédogenèse sera optimale).

Epandage : il doit se faire dans les 24 à 36 heures maximum du broyage, pour éviter tout phénomène de compostage et de surchauffe.S’il en reste, il faut alors abaisser le tas à 40 cm de hauteur pour limiter les risques. L’épandage peut se faire de septembre à février, bien sûr, plus on le fait tôt, mieux ce sera au printemps.

 
Il faut cependant anticiper les grands froids : les mycéliums travaillent jusqu’à -7°. On dispose sur le sol une couche de 3 à 5 cm : en mettre plus ne sert à rien, sinon se donner du travail. 1 m 3 de broyat couvre 30 m² de terrain ( 300 m 3 à l’hectare). Le sol peut être non travaillé, simplement tondu à ras. Il s’auto-labourera pendant l’hiver. Les mycéliums vont s’installer : filaments blancs microscopiques qui peuvent constituer des km de réseaux, ils investissent les lieux, créent un feutrage bien visible, et attirent les autres êtres vivants du sol : microorganismes, collemboles, cloportes et… vers de terre !

Incorporation : au printemps, on guette les signes de la reprise de l’activité biologique du vivant : les bourgeons, les oiseaux, les graines, le temps qu’il fait, son propre organisme… Il faut alors incorporer le BRF dans les 10 premiers cm du sol. Attention ! incorporer n’est pas enfouir. L’ensemble doit être homogène, mais rester aéré et décompacté. C’est un milieu pour organismes aérobies qu’il s’agit de préparer. A l’aide d’un croc, d’une grelinette ou d’une griffe, on ramène à soi à petits coups les 3 cm de broyats et 6 à 7 cm de terre qu’on mélange soigneusement. Ce sera le lit de semences, ou de plantations, sans autre travail du sol.

•  La faim d’azote :

Ce mélange, cette incorporation, arrive quand les champignons arrivent au bout de leur « réserve » d’azote. L’azote consommé par les fongiques leur fournit l’énergie nécessaire à la synthèse des molécules de lignine. Pendant l’hiver, épandus sur le sol, ce sont les broyats qui leur procurent cette matière azotée. Le contact avec les éléments du sol leur permet ensuite de consommer l’azote minéral des premières strates.

Or, c’est le moment où tous les organismes vivants se réveillent et en ont aussi besoin. La prédominance des mycéliums va ainsi créer la «  faim d’azote  », pendant quelques semaines, au détriment des plantes. Celles-ci montrent une couleur très pâle, de verdâtre à jaune, et semblent s’affaiblir. Il faut tenir le coup, ce qui n’est pas facile ! Les plantes reprennent brusquement et s’épanouissent. On peut parer au phénomène de deux manières : soit en laissant suffisamment de temps entre l’incorporation et la mise en place des végétaux (de mars à mai, par exemple), soit en soutenant les cultures par de la matière azotée immédiatement disponible : compost bien mûr, extrait d’ortie tous les 15 jours…

La faim d’azote n’est pas l’ennemi  : elle montre au contraire que la pédogenèse est bien enclenchée. Les champignons s’accaparent de l’azote minéral du sol, mais vont ensuite le rendre disponible aux plantes sous forme assimilable (c’est-à-dire soluble).

 

•  Un sol riche pour 3 ou 4 ans :

Pour ne pas trop subir la faim d’azote, une bonne solution de rotation est de commencer ses cultures par des Fabacées (ex Légumineuses), ces plantes magiques qui synthétisent toutes seules l’azote de l’air : haricots, petits pois, fèves, pois chiches…

La 2ème année, le sol est particulièrement riche, c’est le tour des plantes gourmandes : Solanacées (tomates, poivrons, aubergines, pommes de terre…), Cucurbitacées (courgettes, courges, melons…), Brassicacées (choux…).

Et encore une, voire deux années de cultures de plantes de plus en plus frugales (des salades, poireaux et carottes, jusqu’aux oignons, aulx, échalotes…) et on peut reprendre un cycle.

Pendant tout ce temps, pas de travail du sol . Simplement contrôler les mauvaises herbes, et/ou pailler. Par contre, il est important de prendre (ou de garder) l’habitude de laisser les appareils racinaires des plantes cultivées dans le sol : couper et non arracher . Ainsi, les constituants des racines, les nodosités riches en azote des Fabacées, les chevelus pourvus de lignine jeune, les mycéliums entrelacés, tout ce petit monde restitue peu à peu son énergie aux autres microorganismes et participe à la pédogenèse…

Le BRF neutralise le pH  : progressivement, sols acides ou basiques reviennent aux alentours de 6,5, et peuvent ainsi recevoir toutes sortes de plantes, acidophiles et calcicoles…

Les adventices également se stabilisent : moins de stress implique moins de course à la graine, c’est-à-dire cette profusion de plantules qui tentent d’assurer la survie de l’espèce. Les changements physiques et chimiques du sol peuvent aussi considérablement changer la population des adventices. Il ne faut pas oublier que ces dernières sont avant tout des indicatrices des déséquilibres.

 

•  Arbres, arbustes, arbrisseaux :

Pour toutes les plantes ligneuses (qui font du bois), du grand chêne jusqu’au modeste bouquet de thym, la procédure est différente, et nettement plus simple.

Pas d’impératif de dates, ni de souci d’incorporation…

Il suffit de maintenir une couche de 10 à 15 cm de broyats à l’aplomb des couronnes, en évitant le pourtour direct du tronc (30 à 40 cm de distance).

Les arbrisseaux à fruits rouges adorent le BRF : leur passé forestier n’est pas bien loin !

 

Conclusion 

Les techniques de BRF remettent en cause nombre de préceptes chers à notre système économique basé sur la consommation. En agriculture intensive, bien sûr, mais même pour une certaine culture biologique consommatrice de produits « naturels ».

Elles revalorisent une matière considérée comme un déchet, les rameaux, qui sont aujourd’hui, au mieux compostés, au pire brûlés, souvent entassés dans des lieux qui n’en profiteront pas, et qui, dans tous les cas, contribuent à l’augmentation de CO 2 dans l’atmosphère.

Elles sont très économes en produits sanitaires, même bios, en arrosage… et en travail !

Il reste à monter des filières locales, pour un produit qui doit rester frais, et convenablement trié : les producteurs potentiels sont nombreux : paysagistes, élagueurs, services municipaux… Les « clients », jardiniers professionnels et amateurs, peuvent se regrouper et sensibiliser ces producteurs à leur cause, en s’appuyant sur leur goût spontané pour le vivant, sur leur amour de la forêt, de la plante…